Coup de coeur pour Affamée de Raven Leilani !
Premier roman d’une rare acuité, AFFAMEE (Cherche-Midi) suit les pérégrinations et les réflexions d’une jeune femme noire qui tente de se faire une place dans la mégalopole new-yorkaise.
Edie, la narratrice, est donc une jeune femme de 23 ans, noire et new-yorkaise. Elle travaille comme assistante dans une maison d’édition, ce qui nous vaut des pages pittoresques et vraiment hilarante sur le milieu éditorial. Travailleuse pauvre, elle vit en colocation dans un taudis infesté de souris. Profitant du pouvoir de son jeune corps, elle accumule les aventures d’un soir mais, sentimentalement, ça n’est pas ça. Puis, un jour où elle consulte son appli de rencontres, elle tombe sur un type de 40 ans qui s’appelle Eric. Ils correspondent et commencent à se voir. Mais l’aventure se corse quand Edie rencontre Rebecca, la femme d’Eric, qui lui propose de s’installer chez eux. En effet, Rebecca sait tout et consent. Nous voilà en présence du trio parfait pour un vaudeville : le mari, l’épouse et la maîtresse. Sauf que c’est sans compter la plume incisive et novatrice de l’auteur Raven Leilani qui explose tous les poncifs et tous les codes en auscultant toutes les relations de pouvoir entre les trois personnages : de l’obsession à la relation platonique qui tourne au sado masochisme avant de virer à la froide entente cordiale.
La cohabitation des trois protagonistes se révèle en effet floue et tendue puis le centre du roman se déplace un peu à ce moment-là pour se concentrer sur les rapports de notre narratrice Edie et d’Akila, la petite fille noire adoptée du couple, un peu paumée dans cet environnement exclusivement blanc. Les deux jeunes blacks de la maison se retrouvent alors autour de leur passion favorite : le jeu vidéo car ce sont deux gameuses chevronnées.
Ça donne une chronique existentielle, à l’humour ravageur, d’une jeune femme noire à la conquête du monde mais aussi une sorte de tableau intime de l’Amérique contemporaine à travers les yeux d’une milléniale où sont abordés sans tabous le sexe et les rapports sociaux et raciaux. C’est aussi un livre sur ce que c’est d’être jeune et pauvre aujourd’hui avec la litanie des petits boulots et des relations d’un soir dont elle dresse des sortes de listes hilarantes. Car Edie est terriblement lucide sur elle-même et sur tout ce qui l’entoure et qu’elle décrit avec précision et humour : sexe, rapports sociaux, raciaux, ubérisation de la société.
Si elle est drôle, très drôle même, Raven Leilani n’est jamais cynique, c’est un humour rafraîchissant ! Et son style est proprement unique, impossible de la comparer, c’est ce qui m’a emballée dans ce livre : il y a une voix. Ses phrases sont généralement très longues mais, étrangement, se lisent très rapidement ; tous les segments se télescopent à une vitesse folle tout comme les images. On est embarqué.
On sait peu de choses encore sur l’auteure car c’est son premier livre. Raven Leilani a publié des textes courts dans la prestigieuse revue GRANTA mais Affamée est son premier roman. Et c’est un tour de force. Née en 1990, elle a juste 30 ans et avoue avoir emprunté à son expérience personnelle pour le personnage d’Edie. Comme elle, elle est noire et new-yorkaise, comme elle, elle a fait des études d’art et a enchainé les petits boulots. Mais la comparaison s’arrête là. Raven Leilani a suivi un cours d’écriture créative enseigné par la grande Zadie Smith et en a sorti ce fabuleux premier roman toujours classé dans les meilleures ventes du New-York Times, conseillé par Obama et 5e des ventes en librairie en Angleterre.
Un mot sur la traductrice Nathalie Bru qui s’est colleté avec brio à la langue inimitable de Raven Leilani et qui en a fait un texte truculent, rempli de trouvailles stylistiques. Elle réussit à rendre la tension du texte dont les images ne sont jamais décoratives et toujours pertinentes ! Un grand coup de cœur !
Affamée, Raven Leilani – Le Cherche Midi, traduction Nathalie Bru
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Black Herald Press, éditeur indépendant, publie des ouvrages de poésie, des essais, des textes courts – ainsi qu’une revue de littérature bilingue. La maison d’édition a été ainsi nommée en hommage au recueil Los Heraldos negros (Les Hérauts noirs, 1918) du poète péruvien César Vallejo (né en 1892 et mort à Paris en 1938).